0. Prologue
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- Non, s’il te plait…
Dans la moiteur chaude des corps, je tremblais de froid. Je n’avais jamais eu froid comme ça. Les yeux ouverts, elle me regardait pleurer.
- Reviens… Est-ce que c’est parce que je n’ai pas été sage ?
Je prends sa main dans la mienne. J’ai tellement peur de la toucher mais j’ai encore plus peur de la lâcher. J’ai peur de fermer les yeux et de me retrouver toute seule dans le salon, j’ai peur qu’on soit toutes les deux aspirées par un trou noir géant. J’ai peur. J’ai tellement peur. J’ai effroyablement peur.
- S’il te plaît, j’ai peur toute seule, je lui dis.
J’essaye de sécher mes larmes et de ravaler mes sanglots pour qu’elle me comprenne mieux. Je veux juste qu’elle revienne.
- S’il te plaît, reviens. Je serai toujours gentille et je ne t’embêterai plus jamais, je la supplie.
Je fais tout pour articuler malgré les sanglots mais même avec tous mes efforts, je ne suis pas sûre qu’elle me comprenne. Ses yeux vitreux n’affichent aucune réaction.
- Je suis désolée… Tu étais très fatiguée, d’accord, j’ai compris… Je ne viendrai plus jamais te réveiller dans la nuit… Tu étais au milieu d’un joli rêve, c’est ça ?
Pas de réponse. Mes mains tremblent quand je les pose sur ses joues. Oui, c’est cela, il arrive que certains dorment les yeux ouverts. Je rêve qu’elle ne soit qu’en train de rêver. Je rêve qu’elle rêve le plus beau rêve qu’elle puisse rêver. Comme ça, demain, quand elle se réveillera, elle sera d’une incroyable bonne humeur.
J’aimerais bien qu’elle crie. Même un tout petit mot ou alors quelque chose qui fait très mal… Et puis, après, je me reculerai comme si son corps m’avait brûlé, juste pour cacher mes larmes de frayeur mêlées au soulagement.
- Je dirai à Maman que c’est moi qui ai cassé le vase… Je lui dirai que j’ai été très méchante. Si seulement tu pouvais… Reviens…
Je me tais. Il y a ce bruit dans ma tête depuis tout à l’heure. Je n’arrive pas à l’enlever. C’est lui qui me fait trembler comme une feuille. J’essaye d’arracher mes oreilles, je veux arrêter d’entendre… Je veux que ce bruit disparaisse pour toujours…
- S’il te plait, je geins.
Je ne sais pas qui je supplie. Elle ? Elle ne me répond pas et je ne pense pas qu’elle me répondra. Je la déteste, comme ce bruit. Je veux qu’elle parte, je veux qu’elle disparaisse, je ne veux plus qu’elle revienne.
- Va-t’en ! Va-t’en !
Je sens toutes les larmes qui tombent de mes yeux. Je ne savais pas qu’il pouvait en couler autant. Même si je mets ma main devant mes yeux, elles continuent de s’écouler le long de mon coude et s’écrasent en minuscules flaques sur le carrelage.
J’ai envie d’hurler, de me rouler sur le carrelage. Maman a dit que j’étais une grande fille mais je n’ai jamais eu autant envie d’hurler.
- Je te déteste ! Tu entends ! Je te déteste ! Tu es la fille la plus… Oh… Tu es la plus… Tu es méchante… Tu es horrible !
Ma voix recouvre à peine le bruit dans ma tête. J’ai envie de me dire qu’il n’est pas que dans ma tête, que tout ce tonnerre vient du ciel… Mais c’est tellement injuste…
- Réveille-toi ! Réveille-toi ! Ouvre les yeux !
Je hurle comme je n’ai jamais hurlé et je ne sais pas ce qui me retient de la frapper. Ses yeux sont déjà ouverts, de toute façon. Je n’ai juste plus envie de la toucher. Je me relève, époussette ma robe de chambre. Des petits morceaux de verre qui s’étaient enfoncés dans ma peau s’éparpillent sur le sol. Elle m’a dit de me cacher sous le lit. Elle m’a dit qu’elle viendrait me chercher… Elle m’a dit de l’attendre là-bas… Elle ne va pas me laisser tomber, non ? Je sais qu’elle va revenir… Je l’espère tellement.
Je ne sais pas ce que je donnerais pour continuer d’espérer qu’il y ait un battement de cœur dans cette nuit si noire.