Chapitre 1
Je m’appelle Louisa Dern. J’ai 16 ans, je suis au lycée.
Je vis dans la périphérie de Bormur, dans une bourgade boisée qu’on appelle le Bois des Saules.
Ma famille appartient depuis des générations à la meute des gardiens de la lune qui détient les lieux.
Nous vivons parmi les humains qui connaissent bien les loups et nos coutumes. Il n’est pas rare que des loups aient des compagnons humains, le loup a alors le choix de se désolidariser de sa meute pour vivre au milieu des humains avec son partenaire, mais c’est très rare. Les loups ont besoin de vivre en communauté, ils souffrent s’ils se retirent, même si c’est avec leur compagnon et leurs enfants.
Il arrive parfois qu’un membre parte quelque temps avec son compagnon humain, puis finisse par revenir avec sa famille constituée, tant le besoin de la meute est viscéral. Le compagnon humain comprend souvent ce besoin et l’accepte, comme ma mère. Elle a accepté tout de suite de s'installer avec mon père au sein de la meute, d'autant plus qu'il était promis à un rôle important dans la hierarchie.
Même si ma mère est humaine, le gène loup est dominant. Alors mon frère et moi sommes des loups, comme mon père, le gamma de la meute.
William Dern est connu pour être redoutable et sans pitié.
C’est totalement vrai… Sauf avec moi. Il est infernal avec mon frère aîné Stan qui est plus vieux de 4 ans, mais avec moi il est un vrai ours en peluche, il est un père adorable mais aussi très, très, très protecteur.
Il veille à notre éducation de pied ferme, on doit faire du sport tous les jours et avoir des notes impeccables. Il nous a transmi son sens de la justice.
Stan doit devenir un gamma comme il le sont dans ma famille de père en fils, mais avant ça il fait une école qui forme les gardiens de la paix.
Les fonctions des loups se nomment souvent "gardien de" car c'est avant tout ce que nous sommes. Notre instinct canin de loup nous guide naturellement dans cette voie. Nous préservons, nous protégeons, nous veillons à la garde de l'essentiel: la nature, l'ordre, la paix, le bien, le bon, le juste.
De mon côté je ne sais pas encore où m’orienter. Mais le rapport de force physique ne m’enchante pas du tout, donc je ne suivrai pas leur voie.
Ma mère, Isadora, est prof de littérature à l’université, elle m’a baigné dans les bouquins dès que j’ai su lire, et ça a plutôt bien fonctionné. Je n’ai aucun problème à engloutir des pages et des pages des heures durant.
L’adolescence est un calvaire que j’ai hâte de quitter. J’entends tous les jours les filles parler du lien de compagnon qui va bientôt changer notre vie et la faire basculer dans un conte de fée romantique grâce à l’amour véritable de notre partenaire unique au monde…
Elles sont toutes extatiques et insupportables avec ça, je les évite au maximum. Je reste la plupart du temps avec mon meilleur ami Calvin, nous nous connaissons depuis l’enfance car sa famille fait partie de la meute, ils vivent près de chez moi.
Lui n’est pas obsédé par ce lien, en tout cas, pas pour l’instant. Donc au lycée, il est la seule présence que je veux auprès de moi constamment.
En ce qui me concerne, ce lien de compagnon est ce qui me pourrie la vie depuis quelque temps. Car même si je suis sensée être trop jeune pour savoir qui est mon partenaire destiné, je sais qui il est, depuis la rentrée, il y a deux mois.
Ce jour là était un jour excitant pour beaucoup de monde, mais moi je le vivais comme tout autre jour. Ma mère me donne quelques cours même en dehors de l’école, et je n’ai pas particulièrement de plaisir à retrouver les bancs du lycée, cette micro société d’ado cruels en quête d’identité prêts à vendre leurs âmes pour être acceptés. J’ai la chance de pouvoir utiliser le nom de mon père. Tout le monde sait qui je suis, et personne ne me cherche des noises. C’est parfait.
J’étais donc tranquillement en train de fouler le couloir des salles de sciences quand je l’ai croisé, je n'oublierai jamais ce moment...
Aujourd’hui, j’ai promis à Calvin de lui expliquer pourquoi je suis aussi amère depuis le début de l’année scolaire… car j’en ai parlé à personne depuis, et ça me ronge à petit feu.
Je pensais pouvoir cacher mon malaise à tout le monde mais j’ai de plus en plus de mal. Et s’il y a bien une personne à qui je peux confier ça, c’est bien lui.
Je le retrouve après les cours à notre endroit habituel. Dans une clairière dégagée du Bois de Saules, près du lac.
"Bon allez, tu m’as assez fait languir. Je veux savoir ce qui te rend si irritable. Tu n’as jamais été très joviale mais depuis des semaines tu broies du noir. Même ton frère m’a questionné. Alors?!
- Je sais qui est mon compagnon.
- Quoi! Déjà ! Louisa... C’est énorme ! Comment tu le sais? Pourquoi si tôt ? Et c’est qui, putain de merde!!
- Du calme. Je vais tout te dire. Je suis aussi surprise que toi de l’avoir déjà senti. J’ai eu 16 ans cet été et on est censé ressentir le lien que vers 17 ou 18 ans. Mais c’est comme ça.
- Tu es sûre de toi?
- Aucun doute…
- Alors! Je veux la suite, vite! Je le connais?
- Tout le monde le connaît… je l’ai croisé dans un couloir le jour de la rentrée et j’ai su. Il a suffit qu’il pose les yeux sur moi, mon cœur s’est serré d’un seul coup, j’ai ressenti une chaleur intense dans ma poitrine.
L’adrénaline, l’excitation, les sensations de picotements, tout y était. J’ai aussi ressenti une bouffée d’euphorie intense… mais elle est retombée très vite, quand j’ai constaté qu’il avait disparu.
Il a simplement détourné les yeux et continué son chemin, comme si de rien était. Ça m’a… fait mal. Ma louve est complètement mélancolique depuis. Parce qu’il a continué à m’ignorer chaque jour, comme si j’étais complètement inexistante, insignifiante...
Je suis pourtant persuadée qu’il a senti le lien, lui aussi. Je me suis posée tout un tas de questions.. Est-ce qu’il croit qu’il est le seul à connaître notre lien parce que je suis encore jeune? Est-ce qu’il veut être sûr? Est-ce qu’il attend que je fasse un pas? Mais il a un tel dédain que je ne peux m’empêcher de penser que je ne suis pas celle qu’il aurait voulu. Je suis certainement une déception pour lui, je ne vois que ça.
- Mais c’est impossible… nos instincts priment, nous guident… Mais c’est QUI Louisa ?!!
- Tu promets de garder ça pour toi? Ne le dis jamais à personne… s’il te plaît.
- Bien sûr.. mais vous allez bien finir par vous accepter. Allez, dis-moi.
- C’est Sandro…
- … Putain… "
