Chapitre 1
Allongée au sol, la main sur le visage et le bras autour de son ventre. Fanny venait de recevoir encore des coups de la part de son compagnon Marc. Comme ça, pour rien, juste pour se défouler quand il rentrait du travail. Demain, il faudra qu’elle se surmaquille encore pour cacher le bleu qu’elle aura certainement sur le visage.
Pleurer n’était plus une option, supplier ne servait à rien. A dix- sept ans, vivre dans la peur de l’homme qu’elle pensait aimer n’était plus supportable, il lui fallait partir et le plus vite possible.
-Et le repas, il est où. Cria-t-il.
-J’ai gardé ton assiette au chaud dans le four. Lui dit-elle.
-Tu attends quoi pour me servir, tu ne sers vraiment à rien. Tu n’es même pas bonne à baiser, cracha-t-il.
-Il faut que j’aille faire les courses demain matin, pourras-tu me laisser de l’argent ?
Il sortit dix euros de sa poche et lui jeta au visage. Elle se baissa pour les ramasser.
-Je n’aurais pas assez pour acheter à manger pour nous deux.
-C’est mon argent, tu n’achètes que pour moi, tu n’as qu’à gagner ta vie.
-Tu m’as dit que tu ne voulais pas que je travaille en dehors de la maison.
-Ben fais la pute, tu seras peut-être meilleure au pieux après ça.
Son cœur se brisa en mille morceaux. Elle déposa l’assiette devant lui et se retira.
-Où tu vas, restes ici, regarde-moi manger. Cria-t-il.
Fanny s’assit et le regarda manger. Quand ils se couchèrent, il la força à faire l’amour, c’était devenu une routine depuis quelque temps. Il se leva à cinq heures du matin, elle le suivit et lui fit son café, puis il partit sans un mot. Elle se rendit dans la salle de bain et regarda son visage, un œil poché, une pommette violette, ses côtes lui faisaient mal, son dos aussi. Ses jambes et bras étaient couverts de bleus. Quand arriverait le coup de trop, quand déchainerait-il sa rage, mourait-elle sous les coups de son compagnon comme sa mère. Fanny était jolie, le teint clair, les cheveux noirs bouclés, les lèvres rouge carmin et de grands yeux hazel. Elle ne faisait pas partie des filles minces, ni des grandes, mais avec des formes bien définies, un vrai corps de femme.
Fanny avait postulé en secret pour cette place de jeune fille au pair en Italie et avait reçu la lettre d’embauche la veille. Marc lui avait toujours dit que si elle partait, il la retrouverait, mais là, c’était en Italie, à San Gimignano. La lettre disait de venir aussi vite que possible.
-Il faut que j’arrête d’être lâche, cria-t-elle.
Elle se maquilla pour camoufler les bleus et prépara ces affaires dans un sac, c’était vite fait, elle n’avait pas grand-chose, quelques articles de toilette, ses papiers et la lettre d’embauche. Elle sortit rapidement et se dirigea vers la gare de Toulon. Elle avait le souffle court, une boule dans la gorge. Se retournant de temps en temps, pour vérifier qu’elle n’était pas suivie.
Elle était arrivée à mettre de côté une centaine d’euros en quelques mois, en faisant les carreaux et les courses à sa vieille voisine à qui elle avait demandé de garder le secret.
Arrivée à la gare, elle acheta son billet et se cacha dans les toilettes de peur que Marc ne la trouve, bien qu’il devait être au travail à cette heure-ci. Mais elle n’arrivait pas à maitriser sa crainte. Le train arriva enfin, elle y monta tout de suite et se cacha encore dans les toilettes tant que le train ne démarra pas. Quelques minutes après, la jeune fille sortit et alla s’installer, elle chercha son portable et appela ses employeurs en Italie.
-Allo, bonjour, je suis Fanny Costa, je voulais vous prévenir que je suis dans le train, je pense arriver vers vingt heures, un sourire se dessina sur son visage, merci madame, à ce soir.
Une famille avec des enfants se trouvait devant, la maman qui voyageait apparemment seule avec eux semblait quelque peu déborder. Les personnes autour la regardaient de travers.
Un de ses enfants, un petit garçon d’environ trois ans, se tourna et fit des sourires à Fanny, la jeune fille s’amusa avec lui.
-Oh, pardon, dit la maman.
-Non, il ne me dérange pas, nous nous amusons bien. Il peut venir à côté de moi si vous le permettez, j’aime beaucoup m’occuper des enfants.
-Vous êtes sûr que ça ne vous dérange pas ?
-Oui, laissez-le venir, nous allons nous amuser ensemble.
Le petit garçon vint à côté d'elle.
Je m’appelle Fanny et toi ?
-Nathaniel.
La jeune femme fit une moue approbatrice.
-C’est un joli prénom, j’aime bien.
Ils jouèrent ensemble jusqu’à Vintimille, la maman rejoignait sa famille à Turin pour les vacances, Fanny prenait la ligne Poggibonsi d’où elle prendrait un taxi pour se rendre sur son lieu de travail. Elle regardait le paysage changer et fit la liaison avec sa vie. Elle ne voulait plus de cette vie de peur et de souffrance, plus elle s’éloignait, plus elle sentait qu’elle avait sauvé sa vie. Cela faisait maintenant six heures qu’elle était dans un train, il était quatorze heures, elle devrait être à destination vers les vingt heures. Observant les gens et le paysage. Elle se demandait si ça se passerait bien avec les parents des enfants, car il y avait deux enfants en bas âge, un petit garçon de six mois et une fillette de deux ans. A mi-chemin, une femme d’une cinquantaine d’années monta dans le train et vint s’asseoir à côté d’elle, elles discutèrent gentiment, Fanny maitrisait bien l’italien, car sa maman était italienne et lui parlait souvent italien quand elle était petite et il y eut cette famille d’accueil dans laquelle elle avait été cinq ans, ils parlaient français, mais aussi très souvent en italien. Grâce à cette personne, le temps passa beaucoup plus vite. La gare de Poggibonsi-San Gimignano fut annoncée, elle descendit du train et trouva un taxi. Elle donna l’adresse et regarda dehors. Après être sortis de Poggibonsi, ils traversèrent une région verte et vallonnée, des collines couvertes de vignes, d’oliviers et de blé. Des propriétés magnifiques entourées d’arbres et beaucoup de cyprès. Les petites routes qui amenaient vers de grandes maisons étaient bordées de cyprès. San Gimignano se dressa à leur droite avec ses tours. Ils s’en éloignèrent un peu, puis prirent un de ces chemins bordés de cyprès et arrivèrent à une maison, ou plutôt un château tant, c’était grand.
Fanny paya le taxi et avança vers la demeure. Elle trouva la porte d’entrée et frappa. Une voix de femme et des bruits de pas rapides se firent entendre. La porte s’ouvrit sur une femme brune avec un vrai air de Mama italienne, brune, les cheveux attachés en chignon, un grand tablier. Elle porta les mains sur son visage en s’écriant.
-Oh, com’é bella (Oh, comme elle est belle). Puis, elle se reprit. Je vais vous parler français, dit-elle avec un fort accent.
-Bonjour, madame. Je vous remercie, dit la jeune fille agréablement surprise par son accueil.
-Vous êtes Fanny. C’est bien ça ?
-Oui, madame.
-Appelez-moi Giulia ou Mamma.
Elle se retourna vers l’intérieur de la maison.
-Massimo, cria-t-elle. C’est mon mari. Expliqua-t-elle.
L’homme arriva en faisant de grands gestes.
-Perché urli ? (Pourquoi tu cries ?)
-C’est la jeune fille qui va s’occuper des petits, montre-lui sa chambre.
-Suivez-moi, demanda-t-il d'un air bourru.
Ils montèrent à l’étage et Massimo ouvrit une chambre.
-Voilà, vous pouvez vous installer.
-Merci beaucoup, monsieur. Lui dit la jeune fille.
- Appelez-moi Massimo.
-D’accord, appelez-moi, Fanny, alors.
-Va bene, Fanny.
Il partit et la laissa dans sa chambre, elle n’était pas très grande, mais très joliment décorée, les meubles étaient anciens, mais très bien entretenus et les draps recouverts d’un plaid étaient d’un blanc immaculé. Elle rangea ses affaires dans une armoire et son ventre gargouilla. Ça faisait une journée entière qu’elle n’avait rien avalé. Descendant les escaliers, elle chercha la cuisine pour voir si elle pouvait demander quelque chose à manger. Giulia arriva.
-Ah, j’allais vous chercher pour manger.
La jeune femme fut soulagée. Elle avait tellement faim. Le repas était succulent.
-Giulia, tout était si bon. Il y a longtemps que je n'avais pas aussi bien mangé.
-Merci, Bella. Lui répondit la femme.
-Les enfants dorment déjà ?
-Oui, Lorenzo continue à faire comme avant…
Fanny vit Giulia devenir triste.
-Que se passe-t-il, Giulia ?
-Rien, ça va. Dit-elle en faisant un geste de la main pour lui dire d'oublier.
Elle n'insista pas, mais demanda.
-Est-ce que j’ai un babyphone pour les entendre s’ils pleurent la nuit.
-Oui, il est là sur le meuble.
-Je peux le prendre ?
-Bien sûr.
La jeune fille aida à faire la vaisselle et se retira dans sa chambre. La journée fut longue et elle était épuisée. Elle bâilla en vérifiant que le babyphone était bien allumé et s’endormit instantanément. Dans la nuit, elle fut réveillée par des pleurs de bébé. Elle se leva tout de suite et se rendit dans la chambre du bébé qu’elle trouva ouverte. Un homme était là dans le noir en train de prendre le bébé dans ses bras.
-Reposez ce bébé immédiatement, ou je vous assomme avec… avec ça, dit-elle en lui montrant un livre de conte.
Il sursauta et se retourna.
-Ché cosa ? (Quoi ?)
-Vous êtes sourd, posez ce bébé.
-Arrêtez de crier, vous allez réveiller sa sœur.
Quand elle l’entendit chuchoter, elle comprit qu’elle venait de crier sur le père des enfants, son patron. Elle reposa tout de suite le livre et sortit attendre devant la porte.
-Merde, murmura-t-elle. Je viens de menacer mon patron.
Elle l’attendit dans l’entrée de la chambre. Quelques minutes après, il sortit.
-Je suis désolée, monsieur Antonelli, lui dit-elle avant qu’il se retourne vers elle.
Il était très grand, ses cheveux étaient blonds dorés et ses yeux gris clair. Il ne souriait pas, mais avait quand même un beau visage, un nez aquilin et une jolie bouche charnue. Il recoiffa ses cheveux et Fanny vit les muscles imposants de ses bras.
-Ne le soyez pas, vous avez été réactive. Mais ne vous avisez plus de me menacer. Dit-il sèchement.
-Non, monsieur.
Il la regarda et fronça les sourcils.
-Vous vous êtes battu ?
-Non, monsieur, pourquoi.
-Votre visage est plein de bleu.
Fanny retint son souffle car elle avait oublié qu'elle était démaquillée. Elle porta les mains à son visage et se justifia.
-Je suis tombée dans les escaliers, il y a deux jours.
-Bien sûr, c’est une marche qui vous a fait un œil au beurre noir ?
-Oui, fit-elle en serrant les lèvres.
Il la regarda, secoua la tête et lui dit.
-N’apprenez pas à mentir aux enfants.
-Non, monsieur.
Il partit vers le fond du couloir et Fanny rejoignit sa chambre.
-Eh ben, j'espère que son épouse est plus aimable.
Elle se recoucha et s'endormit sans difficultés.