Arrivée
Emily
Je posais le dernier carton de mon emménagement sur le plancher en bois de ma nouvelle demeure. Avec un soupir partagé entre satisfaction et épuisement, je délaissais l'intérieur et m’aventurais dans la douceur du matin en pleine nature.
La maison que le maire de Paisley m’avait attribuée était un peu vieillotte mais située idéalement en plein cœur de la forêt, un endroit que j’ai toujours particulièrement aimé. Ma louve ronronnait de bonheur quand je laissais mes yeux parcourir le paysage.
Le soleil jouait timidement avec les branches et les feuilles des arbres immenses et venait réchauffer mon visage. Je fermais les yeux avec un sourire de contentement et inspirais profondément. Cette odeur m’était familière et agréable, alors que j’avais toujours vécu dans une ville plus grande et dépourvue de nature.
Un regain d’énergie me traversa, et je rentrais pour me lancer dans le ménage et le rangement. Très méticuleuse, je prenais le temps de bien faire les choses et la journée passa rapidement.
Ce n’est qu’arrivée à l’heure du dîner que je m’aperçus de l’absence de provisions dans le frigo et le cellier. Il était temps d’aller faire les courses, et puis demain, j’aurais sûrement terminé de tout ranger.
Je m’installais dans ma voiture, une vieille berline que je bichonnais tant que celle-ci me permettrait de rouler. Mes parents auraient voulu que je change de véhicule, mais je n’en éprouvais pas le besoin. Je n’ai jamais été une fervente dépensière, et même si j’ai été élevée dans la notion de tranquillité financière, je ne recherchais pas le luxe pour autant. J’étais une fille simple.
J’arrivais devant la supérette avec une petite liste restreinte pour me dépanner juste ce soir. Les vraies courses attendront demain.
- Bonsoir. Vous devez être Mademoiselle Reynolds, n’est-ce pas ?
Un vieil homme à la mine curieuse me souriait aimablement. Il patientait à la caisse en attendant les clients et l’heure de fermeture. Je n’étais pas particulièrement méfiante mais je savais me défendre si le danger se présentait. Mon instinct était puissant, je pouvais déterminer aisément si quelqu’un me voulait du mal ou non, et ce n’était pas le cas.
- Bonsoir monsieur. Effectivement, je suis la petite nouvelle du coin.
Le maire m’avait prévenue : la ville n’était pas grande et les nouvelles allaient très vite. Je n’étais pas inquiète à propos d’Eryn, j’avais tenu toute ma vie sans la trahir, ça ne commencerait pas aujourd’hui.
- Je suis Gabriel Portmann, le doyen de Paisley. Je suis sûr que mes concitoyens se joindraient à moi pour vous souhaiter la bienvenue.
- Et je vous en remercie. Je sais que j’arrive un peu tard, ai-je le temps de…
- Mais bien sûr ! Prenez le temps qu’il vous faut.
- Je vous remercie.
Je m’avançais dans les rayons pour m’emparer de ce dont j’avais besoin et revins vers la caisse. Je discutais quelques minutes avec monsieur Portmann avant de le saluer et de retourner à ma voiture.
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Le lendemain, je m’affairais avec encore plus d’énergie. J’avais mis la musique à fond et rangeais mes effets en nettoyant la poussière qui s’était accumulée. Les derniers locataires étaient partis il y avait quelques mois.
*Mélie ?*
*Qu’y a-t-il, Eryn ?*
*Je suis vraiment heureuse d’être ici.*
Je ris silencieusement, enchantée.
*Moi aussi. J’espère que nous n’aurons pas de problème.*
*Ne t’inquiète pas, mon humaine. Nous allons vivre de grandes choses.*
Je pouvais l’entendre glousser avant de la sentir se mettre en retrait. Cette attitude et la dernière phrase que ma louve venait de prononcer me posaient question, mais je haussais vite les épaules. J’avais appris qu’il ne servait à rien d’essayer de comprendre les allusions parfois nébuleuses d’Eryn. Cette dernière avait ses raisons et je ne la poussais pas.
Il fallait dire que notre vie n’avait pas été de tout repos. Je n’étais qu’un bébé quand j’avais été recueillie par Adam et Vera Reynolds, un couple de la haute-société de Portland. Ils ne pouvaient avoir d’enfant par les voies naturelles alors quand ils me trouvèrent, emmitouflée dans un plaid, près d’une aire d’autoroute à l’orée d’une forêt, autant dire qu’ils y virent un signe évident.
La petite fille que j’étais avait toujours été au courant. Mes parents adoptifs avaient toujours été honnêtes avec moi et ne m’avaient jamais rien caché. Cela participait grandement à ce lien de confiance que j’avais avec eux, et à l’amour que je leur portais. Cependant, même avec ça, je sentais qu’il manquait quelque chose à ma vie, comme plusieurs pièces d’un puzzle très grand.
Je supposais que c’était normal, vu les circonstances de mon entrée dans le monde et de mon tout premier contact avec ma louve. Je me rappellerais toujours notre premier dialogue surréaliste.
Je n’avais que dix ans quand j’avais entendu Eryn pour la première fois. Au début, je me croyais totalement folle, atteinte d’une personnalité multiple. Eryn avait ri puis s’était affirmée. Cela nous avait pris des jours pour arriver à nous comprendre et aujourd’hui, après 16 ans de cohabitation spirituelle, il n’était plus question de remettre en doute la moindre de ses paroles.
Mon estomac gargouilla avec bruit pour me rappeler qu’il fallait manger à un moment. Avec un sourire, j’éteignis l’enceinte Bluetooth qui diffusait la musique et pris ma veste, ainsi que mes clés de voiture et ma liste de courses plus fournie que la veille.
Je retournai chez monsieur Portman et pris mon temps cette fois pour emporter tout ce que je n’avais pas pu prendre hier. Ma conversation avec le vieil homme fut aussi plaisante et je souris à plusieurs reprises.
Cela me changeait tellement de Portland… et c’était tellement plus agréable ! La vie dont j’avais rêvé chaque jour depuis que j’étais en âge de décider de ce qui était le meilleur pour moi.
La voie de vétérinaire avait été un choix naturel mais mûrement réfléchi. Il m’était impossible, compte tenu de l’entité qui vivait en moi, de me diriger vers un autre métier.
D’ailleurs, je devais commencer l’exercice de ma profession dès le lendemain. J’allais ouvrir mon cabinet déjà prêt à recevoir les habitants de la ville et des environs. L’excitation et l’appréhension se disputaient en moi et je sentais la première monter en gamme au fur et à mesure des heures qui s’écoulaient.
Peut-être était-ce mon lien avec Eryn qui favorisait mon contact avec les animaux ? Toujours est-il que je me sentais plus à l’aise avec eux, même si je pouvais discuter avec la population humaine sans prendre la mouche.
Le soir arriva bien vite, le ciel bleu remplacé par le voile de la nuit. Je pris une longue douche bien chaude, me séchai et me préparai pour le sommeil, un peu stressée de la journée qui s’annonçait à mon réveil.